Lucie, la nièce de Blanche, femme du Marquis de Papaguanos, va épouser Gargaret.
Mais elle aime le jeune Albert.
Or, Muserolle, le témoin de Gargaret, reconnaît en Blanche sa femme légitime, disparue dix ans auparavant après avoir été convaincue d’infidélité… Bassesses et minables investigations s’enchaînent… C’est Gargaret qui avait prévenu Muserolle à l’époque. Muserolle lui rendra-t-il le même service ?
Doit-il le dire ?…
– Muserolle : Voici la question en deux mots: Z a épousé X et X roucoule avec Y: doit-on le dire à Z ?
– le Marquis : (qui n’a pas compris) Por favor ?…
(DOIT-ON LE DIRE ? // Acte 2, scène 9)
Il y a chez Labiche, comme chez Feydeau, une sincérité et une efficacité au service du rire, mais aussi une peinture au vitriol des sociétés bourgeoises, disparues fort heureusement… De nos jours, on ne badine plus ! On se jure fidélité et honneur. On ne mendie pas un poste important ou une décoration. On tisse de vraies relations qui mènent à une carrière respectable. On ne gruge jamais les assurances, ou le Notaire. On n’est pas polygame. Ni alcooliques. Ni membres de sociétés secrètes ou dans d’obscures affaires d’import-export. On ne trahit pas ses opinions politiques. Ni ses idéaux. Ni ses amis. En France, on est entre amis, on est de bon goût et dans un entre-soi qui rassure… Ces choses-là n’existent plus que dans des pièces poussiéreuses, qui frisent la caricature.Dans LE DINDON de Feydeau, que nous avons monté entre le Pax de Quend-Plage et la Comédie de Picardie il y a 10 ans, et qui a marqué un virage important dans notre travail de compagnie (nous avons sur ce spectacle éprouvé pour la première fois ce qui fait notre ADN aujourd’hui, un genre de théâtre musical qui mélange le texte et des chansons originales et décalées, et qui nous oblige tous à un engagement sans faille), nous avons déjà exploré les méandres insondables de l’âme humaine et ses errements, surtout s’il s’agit de petits bourgeois qui s’encanaillent dans un Paris d’Opérette. Les courses-poursuites et autres menteries qui jalonnent un vaudeville qui se tient sont autant d’audaces et de moments de plaisir pour des acteurs, et nous l’espérons, pour les spectateurs. Il y a chez Labiche, comme chez Feydeau, cette évidence qui naît des réflexes de survie que les personnages, noyés dans leur propre bourbier, s’emploient à déployer, jusqu’à l’épuisement final. Ces carriéristes d’une vie presque désuète et mondaine, qui empruntent leur fougue à Scapin ou Figaro, mais pas leur génie, le font pourtant dans de cossus appartements, à l’abri du fracas du monde, et dans une imagerie d’Épinal où tout Paris s’étale par la fenêtre.
Amours et amitiés volent en éclats, dans une vulgarisation des sentiments qui tente d’appréhender une psychologie des personnages à un niveau larvaire, uniquement centrée sur un concept simpliste : « comment s’en sortir ?? »
Le dilemme qui taraude Muserolle, qui en doit une à Gargaret mais qui hésite à ruiner son mariage le jour des noces en lui disant la vérité, est une mécanique implacable, qui comme une boule de neige grossit à mesure qu’elle dévale et déverse sur son passage des situations complètement improbables et disons-le carrément sans importance. Chez Labiche, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Dès lors, si l’on accepte le précepte de départ, à savoir qu’à la vérité simple et crue on préférera toujours des tas de mensonges idiots et lamentables, on entrevoit sous les tentures rococos et les toilettes en mousseline tout l’être humain, dans ce qu’il a de plus détestable et navrant : sa capacité à gâcher les choses… Labiche ne s’attaque pas aux conséquences du réchauffement climatique ou de la pauvreté, il s’attaque indirectement à la cause : l’homme (et la femme, qui s’en sort toujours un peu mieux). Et tout ça n’est qu’une pièce, reflet dérisoire et malheureux de nos propres vies, où chacun peut se reconnaître, et pour certains plus d’une fois !! Nous allons gratter le vernis du vaudeville et en chansons nous allons démonter le moteur qui abrite cette subtile mécanique du rire, qui nous tend un miroir à peine déformant sur nos pratiques, nos relations, et notre capacité à nous moquer de nous-mêmes. Comme dans LE DINDON dont nous célébrons les dix ans, il y aura du sport, et cette volonté toujours vivace de ne pas lâcher nos envies de théâtre, et nos envies tout court.
No Fakes !!!
Lien vers DOSSIER DU SPECTACLE / REVUE DE PRESSE